Enquête sur Paul et Jésus


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Enquête sur Paul et Jésus
Henri Persoz

Commentaire (site de la paroisse réformée d’Hagondance et de Maizière-lès-Metz)

Pourquoi Paul cite-t-il si peu les paroles de Jésus et construit-il une figure qui sauve non en raison de ses paroles et de ses enseignements, mais parce qu’elle a été crucifiée ?
Pour répondre à cette question, Henri Persoz mène méticuleusement une enquête progressive et fort intéressante, formulant des interrogations, avançant des hypothèses qu’il examine à la lumière des lettres pauliniennes ou d’autres textes encore, interrogeant aussi les théologiens d’hier et d’aujourd’hui. C’est un travail richement documenté, clair, accessible et très plaisant à lire parce que l’auteur accompagne pas à pas ses lecteurs, il leur expose son cheminement, annonce à l’avance les étapes de sa réflexion et en signale même parfois les passages un peu ardus.
Grâce à une lecture attentive des lettres de Paul, nous apprenons à mieux connaître l’apôtre et le monde dans lequel il vivait, à mieux comprendre aussi comment il explique sa relation à Jésus Christ. En particulier, Henri Persoz montre que le Jésus historique n’intéressait pas Paul (dans les lettres authentiques pauliniennes, il n’y a que six références explicites à une parole de Jésus). L’Évangile qu’il prêche ne résulte pas d’une transmission d’homme, (Paul n’a pas connu Jésus) mais d’une révélation qui lui vient directement de Dieu (Galates, 1/12). Or cette révélation ne lui a apporté que quelques idées décisives, comme la libération de la loi et le salut par la grâce, elle n’a pas pu raconter dans le détail les paraboles, le sermon sur la montagne… Paul a donc construit sa théologie à partir de sa double culture juive et grecque, et sans avoir besoin de s’appuyer sur le Jésus historique.
Pour savoir ce qu’il en est des paroles de Jésus au premier siècle, l’auteur survole la littérature du premier siècle (les écrits non pauliniens).
Bon nombre de ces récits n’évoquent que très peu les paroles de Jésus dont le rôle principal est comme dans la théologie paulinienne de sauver par sa mort et sa résurrection. D’autres écrits par contre, (tel l’Évangile de Thomas) évoquent abondamment les paroles et les actes de Jésus, développant une théologie fort différente de celle de Paul, car Jésus y est Seigneur en raison de son enseignement et non en raison de sa mort. Il existait donc des origines plurielles du christianisme avec des écarts de conceptions (hellénisées pour celles qui retiennent l’Évangile de la croix, palestiniennes pour celles qui s’attachent à l’Évangile de la Parole, jérusalémites pour celles qui sont restées très juives, ou encore johanniques).
Afin de comprendre pourquoi Paul ne cite quasiment jamais l’enseignement de Jésus, ni le contenu de ses discussions polémiques avec les juifs, ni ses paraboles, ses guérisons ou ses miracles, ni ses compassions, l’auteur présente en les commentant ensuite, les explications qui ont été données par certains théologiens et qui pourraient bien faire avancer l’enquête.
Certaines de ces hypothèses sont possibles, du reste intéressantes :

  • Paul voulait désencombrer le message chrétien de toute référence au caractère extraordinaire des miracles et des guérisons. Pour lui, ce sont les convictions et les retournements intérieurs qui importent et sont déterminants.
  • Paul n’a pas fait partie des 12 disciples, ce qu’il ressentait comme une infériorité. C’est pourquoi il insisterait sur la révélation par Dieu qui le fait l’égal des disciples.
  • Ou alors il atténue le discours de Jésus car le radicalisme éthique des porteurs de la parole de Jésus (abandonner ses possessions au bénéfice des plus pauvres et tout quitter pour suivre le Maître) est trop difficile à envisager et à propager dans les riches villes commerçantes et intellectuelles d’Asie mineure. Pour rendre son message recevable, il n’a retenu que ce qui était socialement acceptable, le salut par un autre.
  • Il laisserait aussi dans l’ombre le Jésus de l’histoire parce que ce Jésus là correspondait si peu au Messie glorieux attendu.

Mais d’ailleurs, dans les années 50, que pouvait connaître Paul de la tradition sur les paroles et les actes de Jésus ? De cette tradition orale, il ne disposait probablement qu’une idèe très vague, bien différente de celle propagée plus tard dans les écrits des évangélistes. Et même lorsque les paroles de Jésus finirent par se diffuser timidement et lentement en Asie mineure, il fut difficile à Paul de changer des convictions déjà bien solides et l’apôtre, à 55 ans, ne parviendra pas à intégrer ces éléments dans son Évangile. Il s’est d’ailleurs durement opposé à ceux qui propageaient les paroles de Jésus et qui perturbaient son propre enseignement.
Alors se demande l’auteur, comment expliquer que le christianisme ait pu se développer et se répandre à partir du seul événement de la croix, amputé de l’événement de la Parole et de la vie de Jésus? Il faut se replacer dans le cadre des religions païennes (dites à mystères pour les religions orientales) qui avaient beaucoup d’adeptes dans ce monde hellénisé imprégné de magie et d’idolâtrie. Ces religions offraient une promesse de salut individuel par communion cyclique avec un dieu mort et ressuscité, dans une cérémonie assez effrayante. Paul s’est opposé bien sûr à ces religions. Mais il sut opérer une synthèse intelligente entre les cultes païens et ses convictions, en opérant un important travail de réinterprétation, d’adaptation et de profond changement (en particulier avec l’idée de l’homme nouveau). Sans avoir eu besoin d’évoquer les paroles et l’enseignement de Jésus, son discours théologique fut alors culturellement accessible et recevable, et il put beaucoup convertir.
Alors, Jésus proclamant ou Jésus proclamé ? (la formule est de Bultmann) Jésus des Évangiles proclamant une parole, ou Christ proclamé du haut de la croix
Le christianisme est marqué par ces deux approches : l’approche de Jésus selon laquelle le salut est dans l’amour du prochain qui débouche sur l’oubli de soi et qui amène à une éthique radicale prônant l’impossible (la foi qui déplace les montagnes). Et celle, plus institutionnelle développée par Paul, qui insiste sur l’unité de la communauté, et où le salut lié à la croix, c’est vivre pour Christ.
D’après Henri Persoz, l’Église a survécu grâce à la cohabitation bénéfique de ces deux dimensions, et aucune n’aurait pu la maintenir vivante toute seule et sans l’autre.
C. W.

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