L’Éthique – Baruch de Spinoza


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L’Éthique

Baruch de Spinoza

Quatrième de couverture

« Tout philosophe a deux philosophies, la sienne et celle de Spinoza », a écrit Henri Bergson, L’Éthique est l’œuvre fondamentale de Spinoza (1632-1677) qu’il a achevé peu de temps avant sa mort.

Mon commentaire

Sans atteindre le lyrisme de Bergson, j’avoue que Spinoza est un philosophe méticuleux et qu’il ne laisse rien de côté dans son analyse et sa description. Reste à se faire à son vocabulaire et à ses concepts. Je trouve dans sa philosophie une forte influence d’Aristote et un judéo-christianisme bien ancré.

Commentaire issu du site Spinoza et nous (visiter le site)

1. Éthique : le but de la recherche philosophique n’est pas de rester purement théorique. Le but de la philosophie spinoziste est pratique, c’est-à-dire qu’il s’agit de transformer sa façon d’être et d’agir.

La technique est une action dont la finalité est extérieure à « l’agent », c’est-à-dire celui qui agit : il est en effet question de produire une « œuvre » qui ne se confond pas avec celui qui l’a produite. La pratique est une action dont le résultat estintérieur : il s’agit de transformer « l’agent » ou l’acteur lui-même.

On peut distinguer (depuis Kant et donc après Spinoza) à l’intérieur de la pratique 3 espèces différentes : la pragmatique, la morale, l’éthique. La pragmatique concerne les actes pratiques visant une transformation de soi qui ne vaut pas par elle-même : par exemple, dans l’instruction, celui qui apprend un savoir n’est plus le même une fois qu’il sait, il passe de l’état d’ignorant à celui de « savant », mais ce nouvel état ne vaut pas par lui-même, mais uniquement pour ce qu’il permet d’obtenir : de bonnes notes pour l’écolier, de quoi exercer un métier pour l’étudiant… Le travail lui-même, tel qu’il est conçu ordinairement, ne vaut que pour son résultat : qu’il s’agisse de la récolte ou d’un salaire, or le travail transforme le travailleur lui-même…

La morale consiste à « faire le bien », ce qui suppose qu’on a plutôt tendance à faire le mal ou à agir d’une façon qui n’est ni bonne ni mauvaise. Au moyen de l’examen de conscience ou bien de sermons adaptés, on est censé devenir meilleur, c’est-à-dire quelqu’un de différent. Contrairement à la pragmatique, la morale a sa fin en elle-même, car elle suppose le désintéressement dans sa forme la plus rigoureuse : si vous êtes honnête parce que vous espérez une récompense ou parce que vous craignez une punition, votre honnêteté est intéressée et elle n’est donc pas purement morale. Être moral, c’est être honnête pour être honnête et rien d’autre, c’est dire la vérité en toute circonstance, non pas pour ce que cela rapporte mais simplement parce qu’il faut dire la vérité. Il s’agit donc bien de poursuivre une fin (être juste, être bon) qui ne vaut que pour elle-même. Il y a en ce sens une morale spinoziste : l’homme libre n’agit pas pour les bienfaits que procure l’action bonne mais parce qu’il sait tirer satisfaction de la vertu en elle-même (E5P42). Mais ce n’est pas un moralisme au sens d’un discours fondé sur une conception abstraite et générale de l’homme qui à ce titre s’imposerait de façon extérieure aux individus.

L’éthique, telle que Spinoza la développe, vise la « vie bonne » : il ne s’agit pas seulement de « faire le bien », il s’agit aussi « d’être bien ». Ainsi, la fin que vise l’éthique est ce que Spinoza appelle la liberté et la « béatitude ». Il s’agit de passer de l’état ordinaire de servitude, d’esclavage à l’égard de nos passions à un état de liberté, il s’agit aussi de passer de l’état ordinaire d’anxiété dans lequel nous plongent nos passions à un état de joie perpétuel que serait la béatitude ou félicité. Il s’agit ici, comme en morale, de fins qui valent pour elles-mêmes : être joyeux, cela ne sert à rien, sinon à être joyeux, de même pour la liberté. Mais contrairement au moralisme, il n’y a pas de coupure entre « faire le bien » et « être bien » : la vertu désigne l’action dont on peut être sûr qu’elle est bonne (Éthique IV, déf. I : E4D1) et la béatitude n’est pas la récompense de la vertu mais l’état dans lequel vit celui qui la pratique correctement (Éthique V, proposition 42 : E5P42). Et la coupure entre théorie et pratique est elle-même annulée : c’est la connaissance du lien qui m’unit de façon intemporelle avec la nature et tout ce qui existe qui constitue la vertu suprême. Au contraire la morale peut se concevoir de façon uniquement pratique, indépendamment de toute contemplation et tend, chez Kant en particulier, à rejeter tout sentiment de joie comme opposé à la pureté morale. La connaissance éthique n’est pas qu’un savoir théorique et rationnel, c’est en même temps une intuition, c’est-à-dire ce qu’on peut appeler une expérience intimement vécue (non pas l’expérience sensible de quelque chose d’extérieur mais une pensée vécue en même temps qu’elle est pensée et inversement) : il s’agit de goûter la « vie bonne » en même temps qu’on la comprend.

On peut dès lors mieux comprendre le plan que Spinoza se fixe :

1. « De Dieu » : il s’agit d’établir les premiers principes de la connaissance, puisqu’il n’y a pas de béatitude complète dans l’ignorance. Le terme de « Dieu » n’est pas ici religieux : il ne s’agit pas de partir d’un acte de foi. Ce mot désigne l’être en deçà duquel rien ne peut être pensé. Mais « Dieu » n’a rien de mystérieux : il est un objet de pensée entièrement rationnel : il est comme l’exige la raison elle-même, la cause première de toute chose. Ses propriétés permettront de mieux comprendre le rapport entre l’homme et le reste de ce qui existe. Dans la quatrième partie de l’Éthique, Spinoza établira même une équivalence entre Dieu et la nature : ce qu’il appelle Dieu n’est autre que la nature dans son ensemble et dans son unité. Et c’est en tant qu’il constitue la substance fondamentale de toutes choses que « Dieu » est si important pour connaître adéquatement tout ce qui existe, y compris soi-même.

2. « De la nature et de l’origine de l’âme » : comme c’est dans la connaissance du lien qui m’unit avec la nature qu’est la béatitude, il est indispensable de comprendre comment la pensée individuelle qui me caractérise ou « âme » est déterminée par les premiers principes établis dans la première partie. On verra dans cette partie que d’emblée le corps est inséparable de l’âme.

3. « De l’origine et de la nature des passions » : je ne suis pas qu’un être fait d’idées plus ou moins justes, je vis ces idées, j’en suis affecté et il est donc nécessaire de comprendre comment les affects et passions s’ordonnent en moi, selon un ordre naturel et nécessaire.

4. « De l’esclavage de l’homme ou de la force des passions » : il s’agit alors de comprendre comment les passions m’amènent à un état qu’on se propose justement d’améliorer, car cet état est le plus souvent fait de tristesse ou d’anxiété. Cette quatrième partie détermine donc quels sont les sentiments bons à cultiver et quels sont au contraire ceux qu’il est préférable de transformer.

5. « De la puissance de l’entendement, ou de la liberté humaine » : il s’agit enfin de faire le point sur les moyens de parvenir à la liberté et à la béatitude, sachant que tout ce qui précède est déjà moyen de jouir d’une vie meilleure et que c’est dans le moyen ou la pratique que se situeront la joie et la liberté. Il n’y a ainsi pas d’aboutissement absolu : c’est dans le chemin lui-même que se cache le but. Cette 5° partie est donc une sorte d’explicitation finale de tout ce qui précède : il ne s’agit ainsi pas de détruire purement et simplement toute vie affective mais d’améliorer celle-ci en goûtant à la joie de se comprendre soi-même comme être à la fois corporel et mental, fait de passions et de vertus.

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