Rituel occitan de Dublin – Glose du Pater – 3


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Ce texte, traduit et annoté par Anne Brenon, fut mis en avant au début des années soixante par Théo Venckeleer, philologue belge, qui l’avait trouvé dans un manuscrit conservé à la bibliothèque du Trinity Collège de Dublin sous la cote A 6 10 et reclassé maintenant sous l’appellation « manuscrit 269 ».
Le présent document est donc un ajout à l’ouvrage de René Nelli, « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.
J’ai également utilisé la publication de Déodat Roché : Un Recueil cathare. Le manuscrit A. 6. 10. de la « collection vaudoise » de Dublin, publié dans le n°46 de la série II (XXIe année) de l’été 1970 des Cahiers d’études cathares.

LA GLOSE DU PATER

Adveniat regnum tuum

Ce règne[1], pour l’avènement duquel ce peuple prie son Père, est fils de David, qui lui-même est Fils de Dieu, c’est-à-dire Notre Seigneur Jésus-Christ, comme saint Marc le dit dans son évangile (Mc 11, 9-10) : « Et ceux qui passaient et qui suivaient criaient : Hosanna ! Béni celui qui vient au nom du Seigneur, béni le règne de notre père David, lequel vient ! » Mais il s’agit du règne que le Dieu du ciel devait susciter pour détruire les quatre royaumes de Babylone ; et celui-là ne sera jamais détruit, mais demeurera dans l’éternité pour les siècles. Ce royaume ne sera jamais livré à un autre peuple, comme le montre le prophète Daniel en disant (Dan 2, 44) : « Mais au temps de ces royaumes, le Dieu du ciel suscitera le royaume qui, pour l’éternité, ne sera jamais détruit ; et son royaume ne sera jamais livré à un autre peuple ; il écrasera et détruira tous ces royaumes, mais lui-même demeurera pour l’éternité ».
Ce règne est le règne de tous les siècles, dont la gloire et la grandeur seront prêchées par les saints de Dieu, qui les feront connaître aux fils des hommes, comme le dit David parlant à son Dieu (Ps 144, 10-13) : « Ô Seigneur, tes œuvres te rendent témoignage et tes saints te béniront et ils diront la gloire de ton règne ; ils parleront de ta puissance, de la gloire et de la grandeur de ton règne ; ton royaume est le royaume de tous les siècles ». Mais ce règne, c’est-à-dire le Fils de Dieu, fait ses frères royaume et prêtres de son Dieu, comme saint Jean le dit dans l’Apocalypse (Apoc 1, 4-6) : « Jean, aux VII Églises qui sont en Asie : grâce sur vous et paix de la part de celui qui est et qui était et qui sera, de Jésus-Christ qui nous aime et fait de nous royaume et prêtres de Dieu son Père[2] ».
D’autre part, des IV animaux et des XXIV vieillards, tel même saint Jean dit (Apoc 5, 8-10) : « Et quand il eut ouvert le Livre, les IV animaux et les XXIV vieillards tombèrent devant l’agneau, disant : Ô Seigneur, tu es digne de recevoir le Livre et tu fais de nous royaume et prêtres de notre Dieu pour régner sur la terre ». Et c’est pour cela que David, invitant ainsi ceux qui avaient été faits règne de Notre Dieu, leur dit (Ps 67 33) : « Ô royaumes de la terre, chantez pour le Seigneur, réjouissez-vous pour le Seigneur ».
Mais il faut savoir que, même s’il est vrai que ce règne est venu une fois pour illuminer ceux qui demeuraient dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort et pour enseigner aux frères et leur annoncer le nom de leur Père, comme [David] le dit (Ps 21, 33) : « J’annoncerai ton nom à mes frères », il faut pourtant revenir ici-bas avec ses anges et sa puissance avec flamme de feu portant vengeance à rencontre de ceux qui ne reconnaîtront pas Dieu et ne croiront pas en l’évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour qu’« il soit fait grand dans ses saints[3], et honoré dans tous ceux qui croiront », comme le dit saint Paul aux Thessaloniciens (2 Thés 1, 10) ; et pour qu’il sauve et « rassemble ses élus des IV vents, des extrémités du ciel jusqu’à leurs extrémités », comme il est écrit dans l’évangile (Mt 24, 31) ; et qu’il rende à chacun selon œuvres, comme il le dit dans l’apocalypse (Apoc 22, 12) : « Voici, je viendrai bientôt et je rendrai mon loyer à chacun selon ses œuvres ».
Et il a besoin de venir ici-bas, également, pour que ses amis, quand il viendra et descendra du ciel au signal et par la de l’archange [soufflée] dans la trompette de Dieu, soient enlevés dans l’air à sa rencontre, afin d’être avec lui pour toujours, comme le dit saint Paul aux Thessaloniciens par ces paroles (I Thes 4, 12-18) : « Mais, frères, nous ne voulons pas que vous vous mépreniez au sujet de ceux qui se sont endormis [dans la mort], que vous vous désoliez comme les autres, qui n’ont pas d’espérance ; car si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, de la même manière Dieu prendra avec lui ceux qui se seront endormis en Jésus-Christ ; car voici ce que nous disons par la parole du Seigneur : nous, qui sommes vivants, qui serons présents lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui seront endormis ; car le Seigneur lui-même, au signal et à la voix de l’archange dans la trompette de Dieu, descendra du ciel et les morts qui sont en Christ ressusciteront en premier lieu ; après quoi nous, les vivants, qui sommes encore là, nous serons enlevés avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur et ainsi, pour toujours, nous serons avec le Seigneur. Donc, réconfortez-vous entre vous par ces paroles ».
Mais que la rédemption de ce peuple soit proche dans l’avènement de ce règne, c’est-à-dire du Fils de Dieu, le Seigneur le montre dans l’évangile lorsqu’il dit (Mc 13, 26-27) : « Alors ils verront le Fils de l’homme venant sur les nuées en grande gloire et puissance, et il enverra ses anges, et il réunira ses élus des IV vents, des extrémités de la terre aux extrémités du ciel » ; et pour cette raison ce peuple, très curieux de l’avènement du Seigneur, lui demande secrètement, selon l’évangéliste (Mt 24, 3) : « Dis-nous quand se produiront ces choses et quel sera le signe de ton avènement et de la consommation des siècles ».
Et comme ce peuple espère recevoir du Seigneur, lors de son avènement, sa récompense et son salut ainsi qu’il a été dit ici et que saint Paul le dit aux Romains (Rom 2, 6-10) : « Il rendra à chacun selon ses œuvres : à ceux qui sont selon la constance dans les bonnes œuvres, gloire et honneur et incorruptibilité ; certes, à ceux qui le demandent, vie éternelle ; mais à ceux qui sont dans la contestation, et qui ne s’accordent pas à la vérité mais à l’iniquité, colère et indignation et tribulation et angoisse ! mais gloire, honneur et paix à ceux qui font le bien[4] » ; pour cette raison David, inspiré par le Saint Esprit et priant pour l’avènement de ce Seigneur, dit (Ps 79, 2-3) : « Toi qui gouvernes Israël, entends ; toi qui mènes Joseph comme une brebis, éveille ta puissance et viens pour nous sauver ». Et saint Jean, se souvenant de cette prière, dit dans l’Apocalypse (Apoc 22, 17) : « Et l’époux et l’épouse dirent : viens ; et que celui qui entend dise : viens » ». Et saint Jean, faisant lui-même cette prière, dit (Apoc 22, 20) : « Ô Seigneur, viens-t-en ».
Pour cette raison, ce même Seigneur, parlant pour réconforter ce peuple, dit dans l’apocalypse (Apoc 3, 11) : « Voici, je viendrai bientôt ; garde ce que tu as ». Et encore (Apoc 22, 12) : « Voici, je viendrai bientôt, et mon loyer est avec moi, que je rendrai à chacun selon ses œuvres ». Et saint Jacques dit (Jac 5, 8) : « L’avènement du Seigneur s’approche ». Et saint Paul dit aux Hébreux (Héb 10, 37) : « Encore un peu, un tout petit peu, et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas ».

Mon analyse :
L’auteur indique deux notions : la première est la comparaison de Christ avec la notion de royaume ou règne sur la base de l’Apocalypse de Jean. Les rappels vétéro-testamentaires sont nombreux et semblent chercher à établir le lien direct entre le messie davidique et Christ. L’autre notion est celle de la seconde parousie christique nécessaire à l’accompagnement de ceux qui devront retourner à leur état originel en quittant cette prison mondaine. Le lien entre les deux est que ce retour est imminent. C’est l’approche apocalyptique de Paul.

« Le règne dont parle ci-dessus notre père David, c’est-à-dire Notre Seigneur Jésus-Christ, vint aussi pour cela. Et il doit revenir ici-bas « pour que, siégeant au-dessus du royaume de son père David, il l’affermisse en justice et en droiture dès maintenant et pour l’éternité », comme il le dit par la voix du prophète Isaïe (Is 9, 6). Et c’est pourquoi [le Seigneur], établi par son Père au-dessus de toute domination princière, de tout pouvoir et puissance et seigneurie, qui sont faits en lui et dont il est le chef, vide tout pouvoir, domination princière, puissance et seigneurie et, venant les dépouiller, il les livrera à Dieu et au Père comme saint Paul le dit aux Éphésiens par ces paroles (Éph 1, 20-21) : « Et le plaçant à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute domination princière, pouvoir, puissance et seigneurie ». Et il dit aux Colossiens (Col 1,16) : « Car en lui ont été faites toutes choses visibles dans le ciel et sur la terre, trônes, seigneuries, dominations, pouvoir ». Et il dit [encore] aux Colossiens (Col 2, 15) : « Dépouillant les dominations princières et les pouvoirs, il les a traînés en otages, victorieux d’elles ouvertement et par lui-même ».
Mais de cette fin le Seigneur lui-même dit dans l’Apocalypse (Apoc 1, 8 ; 21, 6) : « Je suis l’alpha et l’o[mega], commencement et fin ». Et c’est sans aucun doute de l’avènement de ce Seigneur et de l’œuvre qu’il devait accomplir lors de son avènement, que parle le prophète Malachie quand il dit (Mal 3, 1-2) : « Et soudain il viendra dans son saint temple, le Seigneur que vous cherchez, et l’ange du testament que vous cherchez, voici : il vient. Ainsi parle le Seigneur des armées. Et qui pourra soutenir le jour de son arrivée, et qui restera en place pour le voir ? Car il [est] comme le feu qui fond, comme l’herbe du cuvier à lessive ». Mais, comme « un certain nombre de railleurs, suivant leurs propres convoitises » — comme le dit saint Pierre dans son épître (2 Pe 3, 4) —, doutant de l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ et ignorant de quelle manière et quand il doit venir, « diront : où sont sa promesse et son avènement ? Car depuis que nos pères sont morts, toutes choses demeurent comme au début de la création ». Il dit aussi (2 Pe 3, 10) : « Il viendra bientôt et ne tardera pas ».
Mais de quelle manière viendra ce royaume béni de notre père David, c’est-à-dire le Fils de Dieu, et quel sera le signe de son avènement, lui-même l’indique dans l’évangile en disant (Mt 24, 29-39, 37) : « La tribulation ; mais après ces jours, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa lumière et les étoiles tomberont du ciel et les puissances des cieux seront ébranlées. Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme, et alors gémiront toutes les tribus de la terre, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel en grande puissance et en grande majesté. Comme cela fut aux temps de Noé, ainsi sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme ». Et encore (Mt 25, 31-32) : « Comme il s’assiéra sur son trône de majesté, et toutes les nations seront rassemblées devant lui etc. » Et saint Jean dit dans l’Apocalypse (Apoc 1, 7) : « Voici, il vient avec les nuées du ciel et tous les yeux le verront, et ceux qui le transpercèrent, et toutes les tribus de la terre, oui, en vérité ».
Et saint Pierre, parlant de ce Seigneur qui dit dans l’Apocalypse (Apoc 16, 15) : « Voici, je viens comme un voleur » ; lequel Seigneur est jour du saint Père ; et nous-mêmes sommes de ce même jour, comme le dit saint Paul (I Thes 5, 5,8) : « Car vous êtes fils de la lumière et fils du jour ; et nous, qui sommes du jour, soyons tempérants ». Ce même saint Pierre dit dans son épître (2 Pe 3, 10) que « le jour du Seigneur viendra comme un voleur ». Et saint Paul dit aux Thessaloniciens (I Thés 5, 2) : « Car vous savez que le jour du Seigneur viendra comme un voleur, dans la nuit ». Pour cette raison, le peuple du Seigneur, espérant en sa promesse, prie son Père que, pour accomplir les choses dont nous avons parlé, il vienne ici-bas
dans son royaume. »

Mon analyse :
Là encore l’auteur en revient à l’approche davidique et à l’Apocalypse de Jean pour annoncer l’installation de la Jérusalem terrestre et le règne du Seigneur des armées, le messie davidique venu instaurer le règne de Dieu sur terre. C’est une approche totalement adaptée à la conviction judéo-chrétienne.

[1] Le mot regnum, regnes en occitan, peut se traduire de manière parfaitement interchangeable par le français règne ou royaume. Les deux seront employés ici, plus par commodité que par choix délibéré d’une des deux nuances de sens par rapport à l’autre.
[2] Regne e preveyres a Dio lo sio Paire : ce texte, que la Bible de Jérusalem traduit par « royauté de prêtres », est conforme à celui de la Vulgate : regnum et sacerdotes Deo et Patri suo. Je ne me risquerai pas à une traduction différente.
[3] Le copiste du XIVe siècle a mal lu son original cathare, et a noté faits (actes) pour saits (saints, avec tilde pour l’abréviation). D’où cascade de mauvaise lecture et de mauvaise interprétation.
[4] Rappelons que la conception d’un jugement dernier et la possibilité d’une punition éternelle venant de Dieu étaient peu concevables à la majorité (dualiste « absolue ») des cathares occidentaux. Les présents développements, qui ont leur répondant dans le traité de l’Église de Dieu, nous situent clairement en dualisme « mitigé ».

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