Rituel latin de Florence – sainte oraison – 1


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Ce texte, écrit en latin était inséré vers la fin du « Livre des deux principes », dans un manuscrit de la ville de Florence[1]. Il semble postérieur au rituel occitan de Lyon qu’il semble amplifier. À ce titre, peut-être a-t-il été écrit directement par les Cathares réfugiés en Italie.
Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.
Je me suis également appuyé sur le travail de Déodat Roché, publié dans l’Église romaine et les Cathares albigeois, aux éditions Cahiers d’études cathares – 1957 – Narbonne.

1. Tradition de la sainte Oraison

Prédication de l’Ordonné (le début manque).

« … ceux qui sont doux et humbles se réjouiront de plus en plus dans le Seigneur, et les pauvres trouveront dans le saint d’Israël un ravissement de joie parce que celui qui les opprimait a été détruit, que le Moqueur n’est plus, et qu’on a retranché de dessus la terre ceux qui veillaient pour faire le mal, ceux qui faisaient pécher les hommes par leurs paroles, qui tendaient des pièges à ceux qui les reprenaient dans l’assemblée » (Is., XXIX, 19-21). »

Mon analyse :
Il manque la première partie qui, dans le Rituel de Lyon correspond à la préparation du rituel et au début de l’admonestation.
Le texte tiré d’Isaïe est certainement tronqué lui aussi, car la lecture de l’original laisse à penser que d’autres versets auraient eu leur place ici, comme les versets 13, 14 et 18 par exemple. Iahvé y dit qu’il va continuer à aider et protéger le peuple même si celui-ci est souvent en défaut envers lui en raison de son incapacité à le comprendre et en raison de fausses indications données par d’autres hommes. C’est la seconde partie des miracles que promet Iahvé que nous pouvons lire ici. Il s’agit donc de dire que ceux qui auront été trompés mais qui seront restés humbles et qui étaient asservis retrouveront la joie dans la bienveillance de Dieu.

Compassion de Dieu pour son peuple.

« Et ainsi, par ces témoignages et par beaucoup d’autres, il est donné à entendre que le Père Saint veut avoir pitié de son peuple, et le recevoir dans sa paix et dans sa concorde par l’avènement de son fils Jésus-Christ. C’est là la cause pour laquelle vous êtes ici, au milieu des disciples de Jésus-Christ, où le Père, le Fils et le Saint-Esprit habitent spirituellement, comme il vous a été dit plus haut, afin que vous puissiez recevoir cette sainte oraison que Notre-Seigneur a donnée lui-même à ses disciples, de sorte que vos demandes et vos prières soient exaucées par notre Père très saint, comme le dit David : « Que ma prière s’élève vers vous comme la fumée de l’encens » (Ps. CXI, 2). »

Mon analyse :
L’officiant rappelle brièvement la raison d’être de ce rituel et es origines.

Réception de la sainte Oraison (le Pater ou Oraison dominicale).

« C’est pourquoi vous devez comprendre comment vous devez recevoir cette oraison sainte, c’est-à-dire le Pater noster. Certes, elle est brève, mais elle contient de grandes choses. Il faut donc que celui qui doit dire le « Notre Père » l’honore par de bonnes œuvres. »

Mon analyse :
L’officiant annonce que l’oraison contient en peu de choses des informations importantes qu’il va révéler maintenant au moyen d’une glose détaillée.

« Fils veut dire : Amour du Père. C’est pourquoi celui qui désire hériter comme fils doit se séparer absolument des œuvres mauvaises. »

Mon analyse :
Ce terme est surprenant car on ne le retrouve pas dans le Pater. Est-ce simplement un ajout destiné à situer le pratiquant par rapport à la première phrase ou bien s’agit-il d’un élément qui a disparu des versions suivantes ?

« Notre Père » : ces deux mots sont au vocatif. C’est comme si l’on disait : ô Père de ceux seulement qui doivent être sauvés. « Qui êtes aux cieux » : c’est-à-dire : vous qui habitez dans les saints ou même dans les vertus célestes[2]. On a cru devoir dire aussi, peut-être : « Notre Père qui êtes aux cieux », pour le distinguer du père du Diable, qui est menteur et père des méchants, c’est-à-dire de ceux qui ne peuvent absolument pas bénéficier de la compassion (divine), laquelle les sauverait. »

Mon analyse :
Nous avons là deux acceptions pour la première phrase. Soit on s’adresse au père des bons esprits, soit on le distingue du diable. Les deux cas reviennent au même.

« C’est pourquoi, donc, nous disons : Notre Père. « Que votre nom soit sanctifié » : par le nom de Dieu on entend la loi du Christ. C’est comme si l’on disait : « que votre loi soit affermie dans votre peuple ».

Mon analyse :
Voilà une situation inédite. L’officiant donne aux mots du Pater un sens différent de celui qui apparaît de façon évidente. La question est de comprendre la raison de ce comportement ? Ce texte, déjà vieux de plus de dix siècles et qui n’est pas exactement celui prononcé par Jésus, comme le démontrent les versions différentes qui apparaissent dans les Évangiles, semble poser problème dans son acception initiale. Les Bons-Chrétiens donnent l’impression de vouloir amoindrir le caractère très anthropomorphique du texte sans le renier totalement à une époque où il est totalement imprégné dans la société.

« Que votre règne arrive : par règne de Dieu il faut entendre le Christ. Dans l’évangile, le Christ dit, en effet : « Voici qu’à présent le royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc, XVII, 21). Mais par règne de Dieu on peut entendre aussi « le peuple de Dieu qui doit être sauvé ». C’est comme si l’on disait : Seigneur, mène ton peuple hors de la terre de l’ennemi. C’est pourquoi le prophète Joël s’exprime ainsi : « Les prêtres et les ministres du Seigneur, prosternés entre le vestibule et l’autel, fondront en larmes et diront : « Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple et ne laissez point tomber votre héritage dans l’opprobre en l’exposant aux insultes des nations. (Souffrirez-vous que les étrangers) disent de nous : où est leur Dieu ? » (Joël, II, 17). C’est pour ce motif que, tous les jours, les chrétiens prient leur Père très pieux pour le salut du peuple de Dieu. »

Mon analyse :
Là encore, le terme règne pose problème et une seule hypothèse ne suffit pas et l’officiant s’oblige à en proposer deux, celle du Christ et celle du peuple.

« Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel : cela signifie : que votre volonté soit accomplie en ce peuple qui s’est attaché à la nature terrestre[3], comme elle est accomplie dans le royaume d’en-haut ou en Christ, qui a dit : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé, la volonté de mon Père » (Jean, VI, 38). «

Mon analyse :
Là au moins l’explication est cohérente par rapport au texte initial.

« Notre Pain supersubstantiel[4] : par « pain supersubstantiel » on entend la loi du Christ qui a été donnée à tous les peuples[5]. Il faut donc croire que c’est de ce pain que veut parler Isaïe, lorsqu’il dit : « En ce temps-là sept femmes prendront un homme et elles lui diront : nous nous nourrirons nous-mêmes et nous nous entretiendrons nous-mêmes d’habits : (agréez) seulement que nous portions votre nom » (Is., IV, 1). David dit aussi : « J’ai été frappé comme l’herbe (par l’ardeur du soleil) et mon cœur s’est desséché parce que j’ai oublié de manger mon pain » (Ps. CI, 5). Il est écrit dans le livre de la Sagesse : « Mais vous avez donné, au contraire, à votre peuple la nourriture des anges, vous leur avez fait pleuvoir du ciel un pain préparé sans aucun travail, qui renfermait en soi tout ce qu’il y a de délicieux et tout ce qui peut être agréable au goût. Car la substance de votre créature faisait voir combien est grande votre douceur envers vos enfants, puisque s’accommodant à la volonté de chacun d’eux elle se changeait en tout ce qui lui plaisait » (Sap., XVI, 20-21). »

Mon analyse :
Le concept de pain supersubstantiel (ou suprasubstantiel selon les versions) donne lieu à une très longue analyse proposant plusieurs options. Dans la première, il s’agit d’y voir le commandement de Christ, c’est-à-dire la Bienveillance. Sont appelés à la rescousse Isaïe, David et Salomon pour appuyer cette interprétation. Isaïe permet de valider le fait que ce pain que nous recevons est déjà en nous ; David montre que son absence, c’est-à-dire le non respect de ce commandement, dessèche le cœur de l’homme ; Salomon est compris comme parlant d’un commandement issu de Dieu, principiel (sans travail) et complet pour celui qui le reçoit, c’est-à-dire qui constitue l’absolue totalité de ce qui est nécessaire.

« Et par Isaïe le Seigneur a dit lui-même : « Faites part de votre pain à celui qui a faim, et faites entrer dans votre maison les pauvres qui ne savent où se retirer. Lorsque vous verrez un homme nu, revêtez-le et ne méprisez point votre propre chair » (Is., LVIII, 7). C’est de ce pain, croit-on, que Jérémie a dit dans ses Lamentations : « Les petits ont demandé du pain, et il n’y avait personne pour leur en donner » (Lam., IV, 4). Et le Christ, dans l’évangile de Jean, dit aux Juifs : « En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. Car le pain de Dieu est celui qui vient du ciel et qui donne la vie au monde » (Jean, VI, 32-33). Et de nouveau, « Je suis le pain vivant » (c’est-à-dire : c’est moi qui ai mission de vie) ; « qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean, VI, 35). Et encore : « En vérité, en vérité je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Mais voici le pain qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain c’est-à-dire : si quelqu’un observe mes préceptes — il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai, c’est ma chair (que je dois donner) pour la vie du monde » (Jean, VI, 47-56) c’est-à-dire : du peuple. « Les Juifs disputaient donc entre eux, en disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Cela signifie : la question était débattue, parmi le peuple juif, de savoir comment le Christ pouvait leur donner ses préceptes à observer : ils ignoraient, en effet, la Divinité du Fils de Dieu. Alors Jésus leur dit : « En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du fils de l’homme » — c’est-à-dire : si vous n’observez pas les préceptes du Fils de Dieu — « et si vous ne buvez son sang » — c’est-à-dire : si vous ne recevez pas le sens spirituel du Nouveau Testament —, « vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est véritablement viande et mon sang est véritablement breuvage »

Mon analyse :
Le concept du pain comme représentant le commandement de Bienveillance est ici confirmé et approfondi. Par Isaïe le caractère Bienveillant apparaît dans le partage avec ceux qui souffrent. Jérémie est utilisé pour montrer que c’est bien ce que veulent les plus simples. Enfin, Jésus rappelle non seulement que ce commandement vient de Dieu qui est la parfaite Bienveillance, mais que lui est à la fois le messager de ce commandement et le commandement lui-même. Christ a cette double fonction de représenter le message de Bienveillance afin d’être un exemple pour ceux qui en avaient perdu le sens. Cela explique la notion de chair et de sang qui troublait tant ses auditeurs.

« (Jean, VI, 53-56). Ailleurs le Christ dit encore : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père, qui m’a envoyé pour que j’accomplisse son œuvre » (Jean, IV, 34) ; et aussi : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui » (Jean, VI, 56). Assurément les prêtres trompeurs ne mangent pas la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ni ne boivent vraiment son sang, parce qu’ils ne demeurent pas en Notre-Seigneur. C’est pourquoi le bienheureux Jean dit dans la première épître : « Mais si quelqu’un met en pratique sa parole, l’amour de Dieu est parfait en lui ; c’est par là que nous connaissons que nous sommes en Dieu. Celui qui dit qu’il demeure en Jésus-Christ doit marcher lui-même comme Jésus-Christ a marché » (I Jean, II, 5-6). »

Mon analyse :
L’explication se poursuit avec Jean. Il montre le sens de la remarque selon laquelle : là où nous sommes assemblés au nom de Christ, il est parmi nous. En effet, si nous sommes réunis dans la Bienveillance, Christ qui est la Bienveillance est avec nous.

« C’est encore de ce Pain qu’il est écrit, selon notre foi, dans l’évangile de saint Matthieu : « Pendant qu’ils soupaient, Jésus prit du pain » — c’est-à-dire : les préceptes spirituels de la Loi et des prophètes — « et il le bénit » — c’est-à-dire : les loua et les confirma —, « le rompit », — c’est-à-dire : les expliqua spirituellement — « et le donna à ses disciples », — c’est-à-dire les leur enseigna pour qu’ils les observassent spirituellement. « Et il leur dit : Prenez » — c’est-à-dire : enseignez-les ; « mangez » — c’est-à-dire — prêchez-les à tous. C’est pourquoi il a été dit au bienheureux Jean l’Évangéliste : « Prenez le livre et dévorez-le…, etc., alors (l’ange) me dit : il faut que vous prophétisiez encore devant les nations, devant les hommes de diverses langues, et devant plusieurs rois » (Apoc., X, 9, 11). « Ceci est mon corps » : le Seigneur dit ici en parlant du pain : ceci est mon corps. Plus haut, il avait dit : « Et le pain que je lui donnerai, c’est ma chair (que je dois donner) pour la vie du monde » (Matth., XXVI, 26 – Jean, VI, 51). Ce sont, en réalité, les commandements de la Loi et des Prophètes entendus dans leur sens spirituel que nous croyons, selon notre foi, qu’il a désignés par ces mots : « Ceci est mon corps » ou « ma chair », comme pour dire : C’est en eux que je suis, c’est en eux que j’habite. C’est pourquoi l’Apôtre dit dans la Première aux Corinthiens : « Le calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas la communication du sang du Christ ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas la participation au corps du Seigneur ? Parce que ce pain est unique, étant plusieurs nous ne sommes qu’un seul corps, car nous participons tous de ce même pain et de ce même calice » (I Cor., X, 16-17). Et cela signifie : nous participons au même sens spirituel de la loi, des prophètes et du Nouveau Testament. Autre témoignage : « Car c’est du Seigneur que j’ai appris ce que je vous ai aussi enseigné, qui est que le Seigneur Jésus, la nuit même qu’il devait être livré à mort, prit du pain ; et qu’ayant rendu grâces, il le rompit et dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui va être donné pour vous » — cela veut dire : ces préceptes spirituels des anciennes Écritures sont mon corps : c’est pour vous qu’ils seront livrés (transmis) au peuple — « Faites ceci en mémoire de moi. De même, après avoir soupé, il prit la coupe et dit : cette coupe est la nouvelle alliance (scellée) par mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous la boirez » (I Cor., XI, 23-25). C’est du « pain » supersubstantiel qu’il s’agit ici. »

Mon analyse :
Enfin, cette analyse détaillée se termine par l’étude détaillée de la cène et du sang des paroles de Jésus revisitées à l’aune de cette compréhension spirituelle du pain supersubstantiel.

[1] Traduit et édité pour partie (ouvrage incomplet) par le P. Dondaine dans : Un traité néo-manichéen du XIIIe siècle. Le Liber de duobus principiis, suivi d’un fragment du rituel cathare – Istituto storico domenicano. S. Sabina. Roma 1939.
[2] Les hiérarchies spirituelles : anges, archanges, Principes ou Esprits des commencements, etc. (D. Roche, L’Église romaine et les Cathares albigeois, p. 185).
[3] Ce « peuple » est à « recréer » selon la « création » du second degré, de Jean de Lugio, laquelle consiste « à ajouter quelque vertu aux essences de ceux qui ont été créés mauvais, afin de les incliner aux bonnes œuvres ».
[4] « La forme Panem nostrum supersubstantialem ne doit pas surprendre : on la trouve dans certains manuscrits de la Vulgate : c’est le texte commenté par saint Thomas d’Aquin dans son Exposition de l’évangile de saint Matthieu » (A. Dondaine, Liber de Duobus principiis, p. 48).
[5] Ms. : Addition : Donnez-nous aujourd’hui : c’est-à-dire : Père Saint, donnez-nous vos forces pour que nous puissions, en ce temps de grâce, accomplir votre loi et suivre les préceptes de votre Fils qui est le Pain vivant.

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